BTS SP3S -Module A et B

Adolescence : âge bête ou âge à la con ?

Par CHRISTEL DUPUY-FERBER, publié le mardi 24 novembre 2020 18:36 - Mis à jour le mardi 24 novembre 2020 18:36

Agressifs, gauches, avachis, inconscients, maladroits… Il faut bien que jeunesse se passe, dit-on. Et si les clichés des parents provoquaient ce qu’ils redoutent ? Emmanuelle Piquet Sciences humaine - Mensuel N° 331 - Décembre 2020

 

Les théories sur l’adolescence sont assez récentes (1). Et ne sont pas sans conséquences sur l’objet même qu’elles étudient : car on l’oublie parfois mais, en sciences humaines, on observe et analyse des personnes qui ne manqueront pas d’adopter, pour partie, des comportements en réaction précisément à l’analyse que l’on fait d’elles.

Population en transit et en crise ?

La définition moderne de l’adolescence influe donc sur les relations a priori que la peuplade adolescente entretient avec ses aînés contemporains, et réciproquement. Définition qui pourrait être à ce jour celle d’« une population à la fois transitoire et en crise ».

• Population transitoire car, à l’adolescence, on sent que rien n’est plus comme avant et que tout sera différent dans seulement quelques mois. Ce grand corps en évolution nous met mal à l’aise, nous les parents, l’apparition de l’esprit de contradiction nous laisse perplexes, mais comme nous avons cette conviction que ce n’est qu’un passage, qu’une transition, nous écoutons mi-amusés mi-excédés, sans trop nous formaliser. Ça passera. Et en plus, derrière cet ingrat duvet, cette acné disgracieuse, et ce très vilain appareil dentaire qu’il a encore oublié de nettoyer, notre ado est encore un bébé. Difficile en effet d’être la maman qui fait des tartines de confiture parce qu’il adore ça, encore, à 16 ans, tout en évoquant avec aisance les bulles d’air au bout du préservatif, sujet absolument essentiel qui génère chez eux un air à la fois horrifié et dégoûté : « Mais enfin, maman, t’es sérieuse avec ta banane et ta capote, là ? » Les ados sont encore des bébés, en effet. Mais aussi des préadultes, donc.

• Population en crise comme nous l’a soigneusement inculqué la pensée psychanalytique et notamment Anna Freud, pour qui « être normal pendant cette période, c’est être anormal » et qui finit par considérer cette phase comme un « trouble du développement ». Cela est d’autant plus étonnant que cette vision de l’adolescence va à l’encontre de nombreux chiffres collectés sur le sujet (2). Par ailleurs, elle semble extrêmement culturaliste dans la mesure où ce laps de temps, considéré comme houleux chez nous, n’est pas décrit comme tel par certains anthropologues (3).

Voici donc la double peine infligée à ces malheureux individus que sont les adolescents : prenant progressivement conscience que leurs modèles sont beaucoup moins admirables que ce qu’ils imaginaient plus jeunes, ils se voient considérés par ces derniers comme des quasi psychopathes qui ne font que passer. Difficile de rester gracieux face à un tel diagnostic et à leurs émetteurs…

La découverte du pouvoir

Conséquemment, s’il y a crise, plutôt que celle des renfrognés adolescents, il s’agirait plutôt d’une crise de la relation (encadré ci-dessous). Mais si l’on refuse de considérer intrinsèquement l’adolescence comme une transition à part, ou comme une période obligatoirement critique, comment pourrait-on la définir, de façon à ce que cet âge ne soit plus considéré et vécu de part et d’autre comme bête ou à la con ?

Chacun pourrait sans doute accepter qu’il s’agit du temps juste avant et pendant lequel on attend du petit d’homme qu’il se prépare à entrer dans le monde adulte (qu’il finisse ou pas par y aller). Une période dans laquelle, comme le décrit Philippe Meirieu (chercheur en sciences de l’éducation), « ce qui se joue, c’est en réalité la découverte du pouvoir ». Découverte vertigineuse s’il en est. Qui explique grand nombre de leurs comportements. Je crois en effet pouvoir dire que le seul point commun à tous les adolescents que j’ai rencontrés et qui m’ont fait l’honneur de leur confiance, c’est, en dehors de leur tranche d’âge, ce sentiment de vertige anxieux, de colère ou d’allégresse (souvent les trois, en alternance plus ou moins rapide) qui les saisit quand ils regardent ce monde qui les attend avec plus ou moins de bienveillance. C’est bien sans doute ce qui suscite ces émotions diverses et intenses, et qui les susciterait chez n’importe quel individu, quel que soit son âge.

Ces sensations ambivalentes les rendent infiniment vulnérables (4). Notamment à des interactions qui les poussent trop brutalement dehors ou les empêchent au contraire de prendre leur envol, les privant du désir intime de sauter (ou pas) dans ce monde inconnu et potentiellement dangereux.

C’est, à mon sens, en les imaginant face à ce saut splendide que nous serons le plus à même de remplir avec bienveillance le rôle qui est le nôtre à cet instant délicat de notre lien avec eux. Être à côté d’eux, pas entre eux et le monde.

Ainsi, nous les trouverons forcément moins bêtes. Et eux nous trouveront sûrement moins cons. 

L’argument du lave-vaisselle

Le concept d’une relation dysfonctionnelle entre parents et enfants, plutôt que d’adolescents au psychisme défaillant, est aisé à observer quand, par exemple, un parent me dit : « Je lui demande juste de débarrasser le lave-vaisselle, et il soupire en me regardant d’un air excédé, et se lève – très lentement – pour le faire. C’est insupportable. » « S’il le faisait en chantonnant et en vous remerciant de lui demander de remplir une telle corvée, réponds-je alors, nous nous demanderions s’il n’a pas pris de substances illicites. La question que je me pose par ailleurs est celle du ton avec lequel vous le lui demandez ? »

Souvent le parent sourit, admettant que, dans cette spirale d’autoconfirmation, il arrive un moment où nous ne parvenons à parler à nos adolescents que de façon agressive (leur simple présence étant déjà agaçante, il faut bien l’admettre !). Ce qui génère immédiatement une contre-attaque de leur part, verbale, non verbale, ou les deux. Et nous agaçant derechef, alimentant ainsi le très puissant cercle vicieux dont il est impossible, en toute bonne foi, de décider qui l’a initié !