BTS SP3S -Module A et B

Est-on plus bête en troupeau ?

Par CHRISTEL DUPUY-FERBER, publié le mardi 24 novembre 2020 18:38 - Mis à jour le mardi 24 novembre 2020 18:38

Quand la connerie se partage, elle se multiplie ! Mais par quels mécanismes ? Et comment se prémunir de ce phénomène ? Marc Olano, journaliste scientifique - Sciences Humaione - Mensuel N° 331 - Décembre 2020

16 % des Français pensent que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune, 9 % que la Terre est plate. Parmi eux, une majorité a moins de 35 ans (1). De nos jours, les théories du complot naissent et se multiplient à une vitesse exponentielle. Dernière en date : le coronavirus serait une invention des puissants et l’obligation du port de masque un simple moyen d’asservir la population. Qualifier ces discours de bêtises relève évidemment d’un parti pris ! Au risque de me tromper (et de passer moi-même pour un imbécile d’ici quelques années…), j’ai quand même demandé conseil à des chercheurs en psychologie sociale pour tenter de comprendre comment on en est arrivé là…

La contagion sociale

En août 2020, les médias ont relayé un fait divers intrigant qui s’est déroulé à Cannes. Tout un quartier s’est mis en fuite à cause d’une fusillade… qui n’a jamais eu lieu. Résultat : des bousculades spectaculaires et une quarantaine de blessés. « Il n’y a pas que les virus qui sont contagieux. Les comportements, opinions et émotions peuvent, eux aussi, se propager de proche en proche », explique Mehdi Moussaïd, chercheur à l’institut Max-Planck de Berlin, spécialiste des foules et auteur de Fouloscopie (2019). À l’inverse de ces mouvements de foule, c’est parfois l’immobilisme qui se propage : « Par exemple, lorsqu’on déclenche une alarme dans une salle de cinéma, au lieu du mouvement de fuite, c’est plutôt l’absence de réaction qui a tendance à se transmettre », illustre M. Moussaïd. On assiste donc à une chaîne de transmission par imitation. Chacun regarde son voisin et fait comme lui… Mais comment expliquer la contagion d’idées en l’absence de proximité physique ? « Sur les réseaux sociaux, les gens ont tendance à s’entourer de personnes qui leur ressemblent et partagent les mêmes idées. On appelle cela des “clusters” d’opinion. Or, si je pense que l’eau du robinet est empoisonnée et que tout le monde autour de moi me dit la même chose, je vais y croire encore plus fermement. Des opinions de ce type peuvent donc circuler en vase clos, et plus les gens vont interagir, plus les opinions auront tendance à se polariser », affirme M. Moussaïd. Mais il existe aussi des exemples vertueux de contagion sociale, concède-t-il, comme le Printemps arabe, en 2010, où des milliers d’internautes tunisiens se sont retrouvés via les réseaux pour s’unir contre la dictature.

Une recherche identitaire

Un phénomène que l’on retrouve fréquemment chez les complotistes est la défiance vis-à-vis des sources d’autorité traditionnelles : instances officielles, scientifiques, politiques, médias classiques… « Parmi les platistes figurent, à mon avis, beaucoup de personnes qui simplement expriment un doute. Ils disent qu’ils ont l’impression que la Terre est plate, qu’ils ne comprennent pas les arguments de l’autre camp, et que, du coup, ils ne savent pas ce qui est vrai. Reconnaître qu’il s’agit d’une éventualité qu’on n’exclut pas ne relève pas forcément de la bêtise. C’est très différent de ceux qui vont affirmer haut et fort que la Terre est plate et voient des complots partout », nuance Florian Delmas, maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Grenoble. En effet, cultiver le doute et aller à l’encontre du sens commun peut permettre de s’affirmer en se démarquant de la pensée unique, ce que le psychologue Anthony Lantian appelle le « besoin d’unicité » (2). « C’est le fait de dire : nous, on n’est pas des crédules, on ne tombe pas dans le panneau. On sait quelque chose que les autres ne savent pas… Tout en croyant à des inepties, les complotistes se placent au-dessus des autres. Ces profils s’expliquent donc à la fois par un besoin d’appartenance à un collectif qui les valorise, et celui de cultiver un sentiment d’unicité », analyse F. Delmas.

Dans la revue de presse des haters de l’émission Quotidien, l’humoriste Pablo Mira fait chaque semaine le bilan des pires commentaires haineux trouvés sur le Net. Des propos souvent incompréhensibles, ponctués d’expressions insensées, dans un français très approximatif, le tout savamment interprété par l’humoriste en question. Comment expliquer un tel déferlement de haine ? « Ce qui caractérise l’expression publique sur Internet est l’absence de contrôle social. Seul s’exerce le contrôle interne, précise F. Delmas. Or c’est dans les rapports sociaux ordinaires que l’on apprend le contrôle interne, pour ménager autrui et se voir, en retour, ménagé. La parole anonyme sur Internet échappe à ces normes de civilité. » C’est donc la porte ouverte à tout et n’importe quoi.

« La bêtise, une marchandise ? »

Mais si la rubrique de P. Mira marche si bien, c’est parce que ces élucubrations aberrantes font rire. La bêtise est-elle donc devenue une marchandise ? À observer l’évolution des castings des émissions de téléréalité en vingt ans, on peut s’interroger ! Lors du premier Loft en 2001, pour faire de l’audimat, il suffisait d’enfermer une bande de jeunes naïfs dans une maison avec une piscine et un peu d’alcool. Aujourd’hui, dans ce type d’émissions, ce sont plutôt les phrases les plus stupides ou les clashs les plus violents qui font recette. Les internautes, quant à eux, ne sont pas en reste et se lancent des défis de plus en plus improbables et dangereux. Jusqu’au point de non-retour parfois. C’est ce qui est arrivé à Pedro, jeune Américain qui voulait faire le buzz sur YouTube. Il a demandé à sa copine de lui tirer dessus avec un pistolet, se pensant à l’abri derrière un annuaire. Il en est mort. La preuve que si, parfois le ridicule tue ! 

La verticalité de la connerie

Comment endiguer la propagation des théories délirantes sur Internet ? Le fact checking (vérification des faits) se révèle une tentative inefficace auprès des complotistes, qui considèrent en général les journalistes de mèche avec les puissants. Facebook et Google ont aussi mis au point des algorithmes pour traquer les fake news diffusées sur Internet, en se penchant uniquement sur la façon dont elles circulent, sans tenir compte de leur contenu. « Les “vraies” informations ont une circulation horizontale. Elles partent en général d’une seule source populaire qui va communiquer avec beaucoup de personnes en même temps, par exemple lorsqu’une célébrité transmet une information à tous ses fans. Tout le monde recevra l’information de cette même source. Pour les fausses informations, c’est exactement le contraire : elles circulent de proche en proche de manière verticale dans une sorte de chaîne de transmission. C’est le cas des rumeurs qui peuvent circuler sur Twitter par exemple. Elles partent d’une personne qui la transmet à un petit cercle restreint, et ainsi de suite », affirme Mehdi Moussaïd. Les fake news impliquent donc souvent plus de relais que les vraies informations.